COCORICO LULUCF
Posted on 09. Dec, 2010 by thomasmatagne in E.U., France
Les chefs d’Etats ou de Gouvernement qui se succèdent pour réaliser leurs discours en différentes arènes ne cessent de le répéter : nous avons tous intérêt à agir, nous avons tous à perdre en attendant. Cela fait consensus. Et pourtant, quand on rentre dans les détails, les choses sont autrement plus compliquées. Illustration avec un chapitre des discussions (le LULUCF) sur lequel la France s’est illustrée par sa position progressiste (à l’inverse de sa position sur les financements précoces).
Mesurer les émissions liées aux forêts dans les pays développés
Dans le texte de négociation sur le Protocole de Kyoto qui est sur la table, ce mercredi 9 décembre à 17h, il y a encore 5 options sur la façon de compter les émissions liées aux forêts pour les pays développés (chapitre dit LULUCF pour Land Use, Land Use Change and Forestery). Qu’est ce qui peut bien être si difficile avec ces forêts ? S’il est si difficile de trouver un accord sur climat, c’est qu’il nous faut réguler notre relation à la nature : les sujets sont innombrables et complexes (voir ici pour un précédent exemple), dont la forêt.
Résumé simplement, on peut dire que suivant l’usage qu’il est fait des forêts, les émissions peuvent croitre ou décroitre. Toute la question est de choisir un repère par rapport auquel les émissions varient.
On peut choisir une référence historique : on fixe un niveau d’émissions liées aux forêts en 1990 (ou sur une période d’années) et on évalue la variation des émissions futures par rapport à ce flux. Mais le choix de l’année ou de la période est forcément arbitraire. De plus, une référence historique masque obligatoirement certains facteurs indépendants : avec les émissions d’une année donnée, tout ce qui arrive ensuite est forcément considéré comme relevant d’une responsabilité humaine contemporaine, alors qu’il peut y avoir des variations liées à d’autres facteurs.
Dans notre cas, il y a un facteur important : l’âge moyen de la forêt. En effet, une forêt jeune est un puits de carbone, tandis qu’une forêt ancienne exploitée est comptabilisée comme une source d’émissions. Donc un pays qui a une forêt jeune lors de l’année de référence est favorisé par rapport à un pays qui a une forêt ancienne, simplement par un effet comptable.
Une solution opposée est d’utiliser une projection dans l’avenir. Cela permet de prendre en considération des facteurs autres que ceux liés aux changements climatiques : ceux qui sont indépendants l’action de l’homme (âge moyen de la forêt). Mais, avec cette méthode, le choix des paramètres de projection est tout à fait arbitraire : le pays peut affirmer que ses émissions auraient crû dans le futur du fait de ce facteur indépendant, et il sera difficile de le vérifier. En prenant comme repère des émissions qui croissent, le pays peut donc affirmer qu’il fait des efforts même avec émissions constantes. Le repère est plus ou moins arbitraire, mais en plus il est mouvant.
Concrètement, en prenant un certain repère par projection, il a été calculé que les émissions de la Nouvelle-Zélande seraient « réduites »par effet comptable à un niveau tel que les deux tiers de son objectif de réduction pour 2020 serait atteint sans que rien ne change… L’enjeu est donc important.
Dissension européenne et France garante de l’intégrité environnementale
Ce choix de la référence est un des points de friction important à l’international… et au sein de l’UE. En effet, plusieurs pays nordiques de l’UE ont des forêts anciennes qu’ils espèrent exploiter davantage dans les années à venir. Ceci, dans le cas d’un repère passé (1990), induirait un accroissement des émissions, tandis qu’avec une projection dans l’avenir leurs émissions pourraient réduire…
La France s’est opposée à Copenhague à un tel raisonnement, en privilégiant une référence historique qui garantisse une réelle réduction des émissions. Pour cette position courageuse, la France avait reçu le « ray of the day », récompense symbolique assez rare de la part des ONG climatiques. En effet, pour les protecteurs de l’environnement, ce qui compte ce sont les réductions d’émissions telles que « vues par l’atmosphère »… ce que seule une référence historique peut assurer. L’atmosphère se fiche des avantages ou désavantages des pays les uns par rapport aux autres !
Les mauvaises langues soulignent que la France a également intérêt à ce mode de comptabilisation, puisque ses forêts sont jeunes. Mais elle a offert de partager les bénéfices qu’elle tirerait d’un tel régime comptable avec ses partenaires de l’UE, afin de fournir la preuve que sa motivation est bien celle de l’intégrité environnementale.
Actuellement, à Cancun, la France tient toujours cette position ; mais de plus en plus isolée. Et d’ailleurs, elle ne parle plus aussi fort : face à l’intégrité environnementale, elle doit prendre en considération l’intérêt de l’unité européenne. Cette unité doit être conservée par principe… mais aussi dans un intérêt environnemental, puisque l’UE est globalement un acteur favorable à l’environnement. Une UE unie peut permettre d’aller plus loin sur de nombreux sujets.
Conclusion philosophico-snob
Lorsque l’on veut changer la relation de l’humanité au monde, les dilemmes sont nombreux. On a tendance à les voir comme soit du côté “humain”, soit du côté “nature”. En fait, ils sont des deux cotés en permanence : nous sommes totalement inclus dans notre environnement. Chacune de notre action est imbriquée avec le reste des actions des autres, qu’ils soient humains ou non. Nous sommes sur une planète dotée d’un tissu vivant. Comme un enfant qui découvre les limites de son corps, l’humanité découvre qu’elle n’est pas seule au monde, qu’elle est entourée. En somme, la crise environnementale -forte angoissante- ne serait-elle pas pas un soulagement ontologique ? A moins que ce ne soit une révélation oncologique. Le futur décidera.
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http://changementsclimatiques.wordpress.com/2011/01/02/cancun-quelques-ecrits/ Cancun : quelques écrits « Changements Climatiques
Negotiator Tracker - Thomas Matagne
Thomas Matagne, 23 ans, finit ses études en master Sciences et politiques de l'environnement à Paris. Il a participé à la COP15 en tant que membre de la délégation d'un PMA (« pays moins avancé ») et continue son travail sur les changements climatiques pour plus de justice inter- et intra- générationnelle... read more»
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