Le climat à Tianjin, une histoire de petite cuillère
Posted on 12. Oct, 2010 by thomasmatagne in E.U., France | View Comments

Conciliabule informel des négociateurs (pour débloquer la situation) lors de la séance plénière du groupe AWG-LCA à Tianjin, 9 oct 2010
A Tianjin, en Chine, se tenait jusqu’au samedi 9 octobre la dernière séance intermédiaire de négociations avant la Conférence des Parties à la Convention qui se tiendra à Cancún en décembre prochain. Le résultat est très mitigé. Tentative d’explications.
Situation générale
Après la claque de Copenhague (où, rappelons-le, il n’a été produit en décembre qu’un texte à caractère politique non approuvé par tous les pays), les réunions qui se sont tenues à Bonn en juin puis à Tianjin la semaine dernière avaient pour objectif de continuer à travailler dans le cadre du processus de négociation du Plan d’Action de Bali (2007). Les négociations sont organisées dans selon deux voies parallèles dites AWG-KP et AWG-LCA : la première doit permettre la suite du protocole de Kyoto tandis que la seconde doit permettre une coopération plus large et de long terme (en intégrant les Etats-Unis et les grands pays émergents dans les efforts de réduction des émissions).
A Copenhague, les textes des deux groupes KP et LCA avaient été sauvés d’un abandon total afin de ne pas perdre deux ans de travail. Dans le LCA, lors des réunions de Bonn de juin dernier, les textes de négociation avaient beaucoup enflé car les pays ont tenu à inclure toutes leurs positions et ont rejeté des textes plus concis proposés à deux reprises par la Présidence. Or, l’objectif est d’arriver à Cancún avec des textes suffisamment courts et clairs afin que des choix politiques puissent être réalisés. A Tianjin, l’objectif était donc de couper, réorganiser, concentrer les textes afin de permettre l’adoption de Décisions qui constitueraient le socle de construction d’un (ou plusieurs) traité(s) pour la COP17 à en Afrique du Sud de 2011.
Avancer de manière « équilibrée »
« Balanced » (équilibré) aura été le mot dans toutes les bouches de cette réunion de Tianjin. La notion d’équilibre est difficile à décrypter, mais l’idée principale semble être que les négociations internes à chaque groupe de discussion (KP et LCA) doivent avancer de manière cohérente sur les principaux chapitres… mais aussi que les deux groupes doivent avancer tous les deux de manières coordonnées.
Par exemple actuellement, d’après Paul Watkinson (chef de délégation de la France), pour l’Union Européenne le LCA est en retard sur le KP. L’idée est la suivante : les discussions sur la prolongation du protocole de Kyoto qui engagent les pays développés (hors Etats-Unis) ne peuvent aboutir qu’à la condition qu’il y ait une visibilité claire de ce qu’il se passe concernant les Etats-Unis et les pays émergents dans le LCA. Cette visibilité concerne le niveau d’engagement de réductions, mais aussi le caractère contraignant de ces engagements et les règles générales qui s’appliquent. L’UE exige d’avoir des garanties sur ces deux points avant de s’engager elle-même.
Le problème est que chaque groupe de Parties a sa propre définition de ce qu’être « équilibré » : l’Union Européenne a esquissé une liste d’éléments dans un document interne, le G77+Chine a fait de même. La Présidence a proposé une série d’éléments qui pourraient constituer un paquet de décisions équilibré, sans recevoir de soutien particulièrement enthousiaste de l’ensemble des Parties.
Ce qui a bloqué
Or, actuellement, le LCA n’avance pas sur deux chapitres essentiels (dits « 1bi » et « 1bii ») qui concernent la réduction des émissions des pays développés d’une part et celle des pays en développement d’autre part. A Tianjin, les négociateurs n’ont même pas travaillé réellement sur le texte. Lors de la séance plénière de conclusion du LCA, chaotique, la Présidence du groupe a proposé une note décrivant les différentes positions entendues lors de débats… Mais cette note a été assez mal accueillie (erreurs, formulations explosives, interrogation sur son statut juridique…). Au final elle a été acceptée comme un aide-mémoire des débats passés, mais sans résoudre du tout le problème de l’absence de texte.
Un autre chapitre bloquant, directement en lien avec les précédents, est celui dit du « MRV » (pour « measurable, verifiable, reportable ») : il s’agit cette fois de trouver un système international qui permette d’établir transparence et confiance sur la réalité des actions entreprises pour réduire les émissions. Ce chapitre est très lié à la question des financements, puisque le MRV peut également s’appliquer au contrôle des financements effectivement dégagés par les pays développés. Ce problème du MRV n’est pas nouveau, il avait été très présent à Copenhague ; la Chine semble montrer très peu de flexibilité pour tout système de vérification qui interviendrait sur son sol… à moins que ce ne soient les Etats-Unis qui exigent des contrôles trop importants ?
Des discussions de procédure et des blocages difficilement compréhensibles dans KP
Sur l’autre voie de négociation relative au protocole de Kyoto, on a assisté tout au long de la semaine des échanges assez virulents sur le respect des procédures. En effet, les discussions actuelles sont encadrées par un mandat ; or celui-ci ne comprend pas certains aspects que pourtant certains pays exigent de régler avant d’avancer sur le chiffrage des réductions d’émissions. Ces points problématiques sont, grosso modo, les règles de comptabilité des émissions de GES et la gestion du surplus d’unités d’émissions de la première période. L’UE, mais aussi l’Australie, le Japon veulent l’établissement clair de ces règles, pour pouvoir ensuite prendre des engagements. Ce qui paraît assez logique (on peut en effet modifier substantiellement la nature d’un engagement chiffré en modifiant les règles du jeu a posteriori).
Mais le Brésil et la Chine mettent un point d’honneur à vouloir s’en tenir de manière étroite au mandat initial du groupe de travail, c’est à dire uniquement le chiffrage sans discussion sur les règles. Résultat : les discussions s’enchaînent et se répètent sur la procédure, sans que rien ne bouge sur le fonds.
Il est assez difficile de comprendre la dynamique qui est derrière ce blocage. Les pays en développement n’ont de cesse de répéter qu’ils exigent la survie du protocole de Kyoto. En jouant sur la procédure comme ils l’ont fait à Tianjin, le Brésil et la Chine réduisent les chances de progrès et donc, in fine, d’un accord à Cancún.
Inversement, pourquoi les pays développés exigent-ils de dépasser le mandat de Bali ? N’auraient-ils pas anticipé, lors de l’établissement du mandat de travail, les questions qu’ils mettent aujourd’hui sur la table ? Ce serait étonnant, tant chaque position est pesée et pensée à long terme… Y aurait-il donc un piège tendu par les pays développés ?
A moins que la discussion sur les règles ne soit pas appréciée par le Brésil et la Chine, simplement par défense de leurs intérêts. On sait qu’il faudra une cohérence des règles entre le KP et le LCA. Ainsi, les pays en développement auraient peur de discuter de ces règles (dont ils savent qu’elles devront s’appliquer au moins partiellement à eux) tant que d’autres points ne sont pas éclaircis dans le cadre du LCA.
Tout ceci n’est que suppositions. Mais le fait est que les négociations sur la seconde période d’engagement, qui doit commencer en 2013, n’ont pas avancé à Tianjin.
Les points qui ont avancé
Sur les autres chapitres, en revanche, les discussions semblent avoir été constructives globalement. Par exemple, sur les financements à long terme, des brouillons de décisions ont été discuté, ce qui indique un niveau avancé de négociation. D’ailleurs on peut espérer l’établissement à Cancún d’un « fonds vert » par une Décision. Celle-ci organisera également le processus de « faisabilité » de ce fonds pour 2011, c’est à dire la réflexion sur la concrétisation du fonds (choix institutionnels, organisation concrète, levée des fonds…), afin d’une mise en place dans les années qui suivent.
De manière similaire, la question des transferts de technologies a continué d’avancer : la création d’un Comité Exécutif des Technologies doublé d’un réseau de centres régionaux de soutien aux transferts de technologies pourrait être décidée. Les autres chapitres plutôt encourageants sont ceux relatifs l’adaptation, à la protection des forêts (mécanisme dit REDD+).
Chemin vers Cancún : garder de l’optimisme
La question principale est donc : les deux mastodontes (Etats-Unis et Chine) vont-ils bouger à Cancún ? Il faut absolument que la question du « MRV » trouve une issue rapidement. A priori, comme pour Copenhague, cette question ne peut pas être réglée au niveau des négociateurs : il faut qu’elle le soit au niveau politique.
Les Etats-Unis ont annoncé et répété leur volonté d’aller vers un engagement contraignant. Jonathan Pershing (chef de délégation) a affirmé avec vigueur que son pays garde une forte volonté d’agir en interne par la réglementation, mais qu’en aucun cas la situation interne à son pays ne peut justifier un blocage de la part des autres pays.
En face, la Chine, notamment en accueillant pour la première fois une réunion de l’UNFCCC, a également voulu démontrer sa volonté d’avancer : elle a rappelé ses engagements nationaux - qui sont réellement importants-, ainsi que la réalité de ses politiques nationales.
Mais concernant l’atténuation des émissions, il existe un réel problème : les engagements des pays développés sont, pris ensemble, trop faibles pour permettre le respect de l’engagement dit du « 2°C » (i.e. pas de réchauffement supérieur à 2°C en 2100 par rapport à la période préindustrielle). L’accroissement de ces engagements paraît indispensable aux yeux des pays en développement… Or pour cela, il n’y a pas a priori de réserves de réductions : nous sommes aujourd’hui sur des promesses d’engagements qui sont fixes par rapport à il y a un an. Et il n’y a rien qui laisse penser que les pays développés ont l’intention de bouger pour aller plus loin.
Au-delà du fond, il y a également une sérieuse inquiétude à avoir : il est à craindre que les textes des deux chapitres problématiques du LCA soient encore bien trop longs (et mal organisés) pour pouvoir permettre d’aboutir à une conclusion à Cancún. Or, en respect du principe d’équilibre sur lequel tout le monde s’accorde, si ces chapitres bloquent, c’est tout le reste qui coince également !
Une absence de tout résultat à Cancún serait sérieusement inquiétante : cela pourrait mettre davantage en péril le processus des Nations unies (déjà décrit par de certains acteurs comme « malade »).
On retiendra cependant l’optimisme de Mme Figueres, la secrétaire générale de la Convention : elle croit tout à fait en une possible réussite et rappelle qu’il n’existe pas d’alternative aux Nations unies. Elle rappelle qu’elle n’a entendu aucune Partie s’opposer à l’idée d’un accord contraignant, et que de nombreuses Parties se sont même exprimées en sa faveur. Elle dédramatise la situation en la remettant en perspective : l’humanité fait face à un changement d’une ampleur inédite dans toute son histoire. Il est donc normal que cela soit compliqué, difficile.
Mme Figueres n’est pas une adepte des grands soirs : pour elle, changer le monde se fait avec une petite cuillère. Je ne peux m’empêcher de vouloir y croire, tout en ayant peur que la cuillère serve plus à le ramasser, ce monde, plutôt à qu’à le changer…
Climat et France : sur les financements, quelques bonnes positions et un gros problème
Posted on 08. Oct, 2010 by thomasmatagne in E.U., France | View Comments
Sur la question des financements, la France semble avoir adopté des positions ambivalentes : intéressantes sur le long terme (1), ses choix à court termes sont catastrophiques au plan de la confiance internationale (2). Explications.
1. L’action de la France sur les solutions innovantes pour le financement à long terme
Position offensive sur les sources innovantes
Dans le cadre de discussions du Groupe de Conseil de Haut Niveau, dit AGF, qui cherche à proposer des solutions sur les moyens de financer à long terme la lutte contre les changements climatiques (voir ici pour plus d’info), la France semble avoir porté des positions intéressantes.
Le gouvernement français a apparemment adopté une position interne à l’AGF similaire à celle qu’elle a pu porter publiquement : elle soutient toute initiative de taxe internationale, sur les transferts financiers, sur les transports maritimes et/ou les transports aériens notamment.
Ces solutions potentielles de taxation internationale ont le mérite de fournir des montants importants (plusieurs dizaines de milliards de dollars par an), assurent une additionalité (nouvelle source), sont prédictibles et enfin sont réalistes du point de vue des budgets des pays développés.
En ayant une analyse un peu cynique, on peut penser que ce choix de la France ne mange pas de pain : ce sera autant d’argent en moins à dégager de son budget propre dans l’avenir. C’est partiellement vrai (partiellement seulement car pas d’impacts sur le budget ne signifie pas qu’il n’y aura pas de coûts pour l’économie). Mais il y a malgré tout une réelle volonté politique car ces solutions sont loin d’être acquises et des oppositions fortes existent.
D’un côté les Etats-Unis s’y opposent car trop difficiles politiquement (toute taxe étant très mal vécue outre-atlantique). De l’autre, ce sont des pays en développement qui sont inquiets de tels dispositifs car, pour eux, cela revient à les faire payer partiellement. Ils expliquent également qu’un surcoût, même minime, sur les billets d’avion aurait des conséquences sur leurs ménages pauvres bien plus que sur les ménages des pays occidentaux. Ces divers arguments sont relativement contestables (il est par exemple possible d’éviter les effets négatifs pour les pays en développement : tout dépend des modalités exactes du dispositif) ; la France essaie de convaincre ses interlocuteurs des bénéfices communs importants.
Estimant que les pays développés ne peuvent débloquer facilement l’intégralité de 100 milliards de dollars, surtout en période de crise, de nombreuses ONG ont adopté une position en faveur de ces financements internationaux (et donc en soutien à la France), quitte à se démarquer de la position des pays en développement.
Le document de l’AGF est encore en pleine préparation, et devra être conclu à Addis Abeba dans le semaines à venir. Espérons que la France ne dévie pas de sa position initiale.
Position originale sur le fonds vert
La France, aux côtés du Mexique, des Etats-Unis, de la Banque mondiale entre autres porte une proposition concernant la réalisation du fonds vert -lequel serait en bonne voie d’adoption (voir ici)-.
Si la position mexicaine est la plus connue et est supportée par de nombreux acteurs (elle prévoit la constitution d’un fonds dont l’une des caractéristique sera d’être approvisionné par tous les pays en fonction de leurs émissions et de leur PIB), la position française est originale et pourrait apporter des éléments supplémentaires dans les discussions.
La France souhaite que le fonds soit constitué sur une logique fiduciaire plus que bancaire, c’est à dire organiser les décaissements en cofinancement d’autres projets -portés par des acteurs accrédités au préalable- sur des critères de co-bénéfices climat, avec une évaluation de l’efficacité et de l’efficience.
Cette organisation aurait potentiellement plusieurs mérites :
- alléger énormément les besoins humains du fonds pour une mise en place rapide, avec seulement quelques dizaines à quelques centaines de personnes pour faire fonctionner l’accréditation et les comités de validation des financements (à titre de comparaison, la banque mondiale qui existe depuis 60 ans dispose de 10 000 personnes pour gérer ”seulement” 35 milliards de dollars).
- s’appuyer sur des acteurs existants et leurs compétences
- jouer le rôle de catalyseur financier (effet levier) en attirant d’autres financements de différentes origines (bancaires, privés, ONG, collectivités locales, Etats…)
- permettre un accès direct au fonds, rapidement et facilement (aide à la décentralisation et donc à la réalité des actions sur le terrain)
- correspondre à une logique générale d’intégration du climat à d’autres enjeux de développement et de protection de l’environnement (et non à une logique climat qui serait ”hors sol”)
La position française propose donc une organisation concrète, pragmatique et a priori réellement favorable aux pays en développement. Si cette proposition ne règle pas de nombreuses questions (approvisionnement du fonds, répartition des pouvoirs, articulation avec le mécanisme…), elle a le mérite d’apporter un éclairage intéressant et de stimuler le débat.
Notons malgré tout que, comme d’autres pays développés, la France n’est pas prête à oublier l’aide bilatérale (via l’AFD notamment)… Le Fonds ne serait donc qu’un des canaux. Reste à savoir dans quelle proportion.
Cependant, pour l’heure, les discussions se concentrent sur les termes de la Décision qui sera adoptée à Cancun : le jeu consiste à placer les mots clés souhaitables pour pouvoir continuer à pousser la proposition lors des discussions l’année prochaine.
2. A court terme, le gouvernement français se paye la tête des pays en développement
Très volontariste sur les financements précoces (voir ici pour plus d’information sur cette question), Jean-Louis Borloo appelait en janvier dernier (voir ici) les pays développés à respecter leurs engagements dès 2010, et donc de fournir ensemble environ 10 milliards de dollars dans l’année (30 milliards sur 3 ans). Malheureusement les bonnes résolutions semblent peu respectées aujourd’hui.
En effet, l’Accord de Copenhague prévoit que les financements seront « nouveaux et additionnels » (voir pour des explications générales). Si la France annonce porter sa part de fardeau de 420 millions d’euros pour 2010, en revanche elle ne respecte pas son engagement sur la nouveauté et l’additionalité.
Dans son acception commune, la notion de nouveauté signifie que l’effort pour le climat est augmenté par rapport à ce qui a été fait les années précédentes. La notion d’additionalité doit permettre de garantir que les fonds pour le climat ne sont pas détournés d’autres budgets, par exemple celui de l’aide publique au développement (APD). Cependant, bien que le principe soit inscrit dans la Convention depuis 1992, il n’existe aucune définition officielle précise : chaque pays est libre de choisir sa façon de compter… et au final, on a de bonnes chances d’assister à des arnaques. Un représentant de Bercy m’a opposé qu’il ne peut y avoir d’arnaque puisqu’il n’y a pas de définition. Argument dont je laisse chacun juge.
Tout d’abord que savons nous des choix français en matière d’additionalité ? A vrai dire, rien d’officiel. Le WRI, qui propose une analyse comparative entre les pays développés, n’a obtenu aucune définition de l’additionalité pour la France. Or le WRI, institution phare sur les questions de changements climatiques, s’appuie notamment sur les réactions des gouvernements pour actualiser ses données : c’est donc que la France n’a pas apporté d’information.
Il existe malgré tout des informations officieuses. D’après ce que le Climate Action Network rapporte (voir le rapport) et d’après ce j’ai pu apprendre du bout des lèvres de certains représentants français ici à Tianjin, le gouvernement retient pour définition de l’additionalité une formule très simple : est additionnel tout financement qui se porte sur un nouveau projet relatif au climat. Voilà le pot-au-rose.
Bien qu’on m’explique qu’il est difficile de juger le choix d’un pays quand il n’y a pas de définition commune, je pense qu’on peut dire objectivement que cette définition est malhonnête. Mon critère (objectif ) est simple : il existe deux termes dans l’accord de Copenhague (« additionnel et nouveau »), pourtant la France ne donne qu’une définition unique avec un seul critère. Il y a donc un amalgame total entre additionalité et nouveauté. Ce qui se traduit par le fait que toute comparaison avec l’APD est oubliée. La France se donne le droit de transférer purement et simplement de l’argent de l’APD vers le climat. De plus, toute comparaison vis-à-vis des financements passés est absente. En bref : il n’y a pas plus d’argent qu’avant, il est seulement labellisé « fast start ».
Au-delà de la question théorique de l’additionalité, quand on dit à certains délégués africains que la France a déjà débloqué l’argent promis pour 2010, ils répondent avec des yeux ronds : « Où ca ? ». Il est en effet impossible de vérifier. Ce ne sont pas les données fournies sur le site internet de l’initiative des Pays-Bas (en faveur de plus de transparence) qui nous aident.
Evidemment, Bercy se réfugie derrière un syllogisme imparable : il n’y a pas de définition internationale et il n’y a pas de définition officielle française. On ne peut pas prouver que la France n’apporte pas des financements nouveaux et additionnels. L’opacité la plus totale est bien pratique.
On ne peut qu’espérer d’agréables surprises lors de la remise d’un rapport relatif au fast start rédigé au niveau de l’UE en novembre prochain, ou bien lors de la publication d’une réponse officielle du gouvernement français à des questionnaires d’ONG -en cours de rédaction-. Mais qu’elles soient bonnes ou mauvaises, ces informations arriveront bien tard… reconstruire la confiance, nous en avions besoin dès les premières réunions de Bonn en juin dernier.
Le gouvernement sait pertinemment que pour reconstruire la confiance, il faut autant mettre de l’argent sur la table que convaincre qu’on en met. Ne donner aucune information comme il le fait actuellement fait donc peser d’énormes soupçons sur sa réelle volonté d’agir.
Remarquons que la plupart des autres pays développés ont adopté des techniques d’entourloupes similaires (*). Mais ce n’est en rien une excuse. L’argument de la crise et des caisses vides n’est pas non plus convaincant, car comme le disait hier un représentant de la Banque Mondiale : depuis la signature de l’Accord de Copenhague, la crise ne s’est pas aggravée.
Toutes ces incertitudes sur les définitions et cette opacité généralisée conduisent à des effets négatifs très concrets dès aujourd’hui. Le négociateur principal du groupe Afrique en charge des financements m’a expliqué qu’ils ont le sentiment, une fois de plus, de se faire totalement avoir sur cette histoire de fast start (qui était pourtant l’une des rares choses positives qu’ils pouvaient trouver à l’Accord de Copenhague). D’où leur volonté d’obtenir une Décision de la COP à Cancun spécifiquement sur les financements précoces, afin d’avoir de nouvelles garanties notamment en matière de transparence et d’additionalité. Ce qui constitue maintenant dans les discussions un nouvel objet d’affrontement. Un de plus, dont on se serait bien passé.
Ce qui est certain, c’est que la confiance n’est pas reconstruite et que la France porte pleinement sa part de responsabilité. C’est dommage… car, après tout, cette confiance internationale si vitale pour le climat aurait pu être accessible avec quelques informations et… deux tiers d’un bouclier fiscal.
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(*) Pour une analyse comparative internationale des financements fast start sous différentes hypothèses d’additionalité, voir l’excellent papier de Climate Analytics (www.climateanalytics.org) : Assessment of fast-start finance commitments under different additionalité definitions, F. Fallash et L De Marez, 5. oct. 2010
Cette étude montre que si l’on considère que l’additionalité est tout financement intervenant en dehors de l’Aide Publique au Développement, les promesses ne sont plus que de 8,2 milliards de dollars au lieu d’une trentaine actuellement (principalement grâce au Japon (7,8 milliards de dollars). CQFD.
Comment trouver 100 milliards de dollars ?
Posted on 07. Oct, 2010 by thomasmatagne in E.U., France | View Comments
L’Accord de Copenhague prévoit la mobilisation de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour faire face aux besoins liés aux changements climatiques (atténuation et adaptation). Ce chiffre est encore débattu, certains voulant plus (voir ici). Mais d’ores et déjà, il faut s’inquiéter des moyens pour mobiliser autant d’argent.
La mobilisation de sources nouvelles de financement est inquiétante : où trouver l’argent quand les caisses publiques sont « vides » ? quand « c’est la crise » ? quand les promesses d’aide publique au développement ne sont actuellement pas tenues ?
Afin d’envisager de nouvelles solutions, l’accord de Copenhague a prévu la mise en place d’un Groupe de Conseil de Haut Niveau, dit GCA, dirigé par MM Brown et Zénawi pour l’étude des options de financement des changements climatiques à hauteur de 100 milliards de dollars par an, en analysant notamment les possibilités de sources novatrices.
Parmi ces sources novatrices figurent notamment les idées de taxe sur les transactions financières (soutenue par la France récemment), taxe sur les transports maritimes ou aériens de passager ou de marchandises, de taxe sur les ressources fossiles, taxes sur le marché carbone ou les allocations carbone des pays…
Ces solutions potentielles ont le mérite de fournir des montants importants (plusieurs dizaines de milliards de dollars par an), assurent une additionalité claire (nouvelle source) et sont assez prédictibles. La plupart des observateurs (incluant nombre d’ONG) estiment que les pays développés ne pourront pas débloquer la totalité de 100 milliards de leurs budgets nationaux ; ils accueillent donc très bien ces nouvelles sources.
Mais il est à craindre que de telles solutions ne soient pas appréciées de tous : les Etats-Unis seraient très réticents à toute idée de taxe. Les pays en développement ne sont pas non plus très favorables aux taxes sur les transports, car ils considèrent qu’il ne s’agit pas de paiements venant exclusivement de pays développés (il y a un potentiel effet boomerang sur l’économie de ces pays en développement). Enfin, on comprend que toute taxe sur les produits fossiles ne réjouit pas vraiment les producteurs pétroliers…
Le rapport final du Groupe de Conseil de Haut Niveau ne sera publié que d’ici quelques semaines. Une réunion intermédiaire a eu lieu jeudi 6 octobre. Apparemment, le rapport ne donnera pas au monde une solution toute ficelée ; il y a des désaccords importants en interne. En revanche, il devrait proposer plusieurs combinaisons de solutions cohérentes qui permettraient de fournir les 100 milliards de dollars par an… Rien n’est moins sûr, mais un tel résultat serait un progrès par rapport à une simple liste des mesures, comme réclamée apparemment par les Etats-Unis.
Cependant, la question de la répartition de l’argent entre le fonds vert et les autres canaux reste en discussion. Une rumeur indiquait que l’UE souhaiterait qu’uniquement 7% des 100 milliards ne transite par ce fonds (le reste étant distribuée par d’autres canaux multi et bilatéraux). Info qu’on m’a dit fausse aujourd’hui : l’UE -tout comme les Etats-Unis- seraient prêts à mettre le total dans le fonds vert… mais à condition qu’elle ait confiance dans ce fonds et dans son organisation !
Pour en revenir au rapport, il faut comprendre comment ce document s’insère dans les discussions officielles. Ce document sera bien le fruit d’une discussion informelle parallèle. En conséquence, il pourra éventuellement être utilisé par le Secrétariat de la Convention. Celui-ci pourra s’il le souhaite le transmettre aux Parties, qui elles-mêmes pourront décider d’introduire des éléments du rapport dans les discussions (à Cancun). Le chemin des idées est encore long.
En parallèle, signalons la tenue début septembre du dialogue de Genève, qui a permis des échanges supplémentaires sur la question des financements, avec notamment un discours de Todd Stern dans lequel il réaffirme la volonté des Etats-Unis d’avancer sur cette question… Tout en faisant un clair lien avec les autres chapitres des négociations : pour que le fonds avance, le reste doit avancer également. Posture des Etats-Unis que l’on observe toujours ici à Tianjin.
Rendez-vous à Cancun pour assister au réel commencement d’un début d’organisation d’un financement à long terme.